Ah, la décroissance ! Peu de personnes veulent en entendre parler, et parmi celles qui suivent de près ce concept et adhèrent aux transformations induites, le mot divise encore. Cela ressemble fort à un sujet casse-gueule... Un sujet pour Les Passeurs ! Nous avons choisi de relever le défi pour ce cinquième topo en poussant le bouchon un peu plus loin : à quoi ressemblerait une montagne en décroissance ? Ce n'est pas une question aisée car, à notre connaissance, il y a peu de travaux dédiés à cette question. Dans ce topo, nous avons regroupé des contenus pouvant aider à esquisser ce à quoi cela ressemblerait. Mais, nous n'allons pas vous le cacher : il y a encore beaucoup de boulot pour penser la montagne décroissante, et finalement c'est peut-être ça qui est le plus excitant.
Avant d'entrer dans le dur du sujet, revenons un instant sur le concept de décroissance. Celui-ci fait l'objet d'intenses discussions depuis des années, aussi bien dans le milieu académique que dans la sphère politique et militante. Nous retiendrons l'une des définitions proposées, celle de l'économiste Timothée Parrique :
« La décroissance, c'est une réduction de la production et de la consommation pour alléger l'empreinte écologique, planifiée démocratiquement dans un esprit de justice sociale et dans le souci du bien-être. » (entretien pour Ouest-France, 2022)
En résumé, la décroissance, c'est vivre mieux, tout en produisant et consommant moins, du moins pour ce qui concerne les activités non durables.
Notons que, pour la première fois, le terme « décroissance » est apparu dans le rapport du GIEC synthétisant la littérature scientifique sur la réduction des émissions publié en 2022, reflet d'un développement récent et rapide des travaux sur le sujet. Le rapport met également l'accent sur les mesures limitant la demande en énergie, biens et services, ce qui permet de réduire significativement les émissions. Une partie de ces mesures s'apparentent à ce que l'on appelle en France la « sobriété », et sont tout-à-fait compatibles avec une société décroissante. On peut donc se poser la question : pour nos montagnes, quelles sont les activités que l'on voudrait voir réduire ? À l'inverse, que voudrait-on voir croître ?
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Beyond Growth : une conférence sur la post-croissance au Parlement européen
Du 15 au 17 mai 2023 a eu lieu une conférence à Bruxelles sur la post-croissance et la décroissance, "Beyond Growth". Organisée par vingt membres du Parlement et avec le soutien de nombreuses organisations, elle a rassemblé des scientifiques, des politiques et des ONG afin de réfléchir à de nouveaux objectifs de prospérité et de durabilité, qui aillent au-delà de la simple boussole de la croissance économique. Un signe important, même s' il reste encore beaucoup de chemin pour changer les choses au niveau européen.
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Décroissance & post-croissance à l’échelle de l’industrie Outdoor et des marques (en anglais)
Il y a un an, en octobre 2022, l’anthropologue Jason Hickel était sur Annecy avec les plus grandes marques d’outdoor d’Europe pour clarifier et adapter les travaux académiques de la décroissance et post-croissance à l’échelle de cette industrie.
Le magazine suédois Suston était sur place et en a profité pour faire une interview pleine d’enseignements. Extrait : "The only way is with coordinated action. What we need is a binding sectoral agreement. The agreement should impose a hard cap on physical output and resource use in the sector and scale it down on a clear annual schedule."
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Liqueur : les moines Chartreux ont décidé de calmer le jeu
S’il y a bien un truc que les dirigeants d’entreprises ont en général du mal à accepter, c’est la notion de renoncement, pierre angulaire de la post-croissance ou de la redirection écologique.
« Il y a de la demande, pourquoi ne pas y répondre ? »
« Ce produit cartonne, pourquoi faudrait-il limiter sa production ? »
Chartreuse a décidé de faire autrement, la presse américaine ne s’y attendait pas (et ce n'est pas pour en faire un produit de luxe).
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Ce n’est pas de la décroissance, MAIS :
Engagements et renoncements de la Compagnie des Alpes
À propos de renoncer, la Compagnie des Alpes, gestionnaire d'une bonne poignée de GROS domaines skiables, a mis en ligne une série d’engagements et éco-engagements - assez classiques - mais aussi cinq renoncements : arrêt de l’exploitation des secteurs "que l’évolution climatique rend non-skiables", ne pas fabriquer de neige "à température positive", ne plus utiliser de combustibles fossiles pour les dameuses, les bus et le chauffage des bâtiments ("sous réserve de disponibilité du carburant alternatif"), ne pas faire d’extension "nette" des domaines (comprendre, sans compensation) et ne pas contribuer à des projets de création de ski ou de snowdome n’ayant pas "une part majoritaire significative de neige naturelle". Nous soulignons les efforts, tout en ne pouvant nous empêcher de penser qu’il s’agit aussi du strict minimum à l'heure de l'Anthropocène...
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La première station de ski sans remontées mécaniques d’Europe ?
En Italie, à deux heures et demi de Milan, s’est ouvert l’hiver dernier un domaine skiable sans télésièges ou télécabines, uniquement dédié au ski de randonnée et gratuitement accessible : Homeland. Certains y verront une révolution qui a réussi à faire parler d’elle jusque dans les colonnes du Financial Times, d’autres ne verront pas trop la différence avec le col du Lautaret un samedi de décembre. Effectivement, en pratique, il ne s’agit que d’un spot de randonnée avec un loueur de matériel et quelques guides pouvant encadrer des sorties, mais ce projet a le mérite de faire un peu revivre le village de Montespluga. On notera qu’une expérience proche - payante et sécurisée - au Colorado n’aura duré que trois ans : Bluebird Backcountry a malheureusement fermé ses portes.
L’excellent podcast de Nabil Wakim "Chaleur Humaine" (Le Monde) s’est penché sur la décroissance et a invité l’économiste Timothée Parrique, incontournable depuis la sortie de son livre "Ralentir ou Périr". C’est assez macroéconomique, mais ça s’écoute très bien ! Et si vous en voulez encore, vous pouvez écouter deux séries d’émissions de France Culture en replay : "Les économistes face à la nature" et "Croissance, post-croissance, décroissance".
documentaire réalisé en 1978 par Lucien Patry, décrit le quotidien des habitants du petit village de Prapic, dans le Haut-Champsaur (Hautes-Alpes). La vie s’y déroule en quasi autarcie, loin des centres urbains, tandis que la station d’Orcières-Merlette et le Parc national des Écrins se développent, à quelques kilomètres.
C’est un film à l’affiche cet automne, par le chercheur Mikaël Chambru (voir l’Entretien de ce numéro) et le guide et chercheur Yann Borgnet. Certains d'entre nous l'ont vu et ont dit que c'était très, très bien.
Décroissance ou découplage ? - Débat (en anglais)
Tout est dans le titre. Un débat très intéressant entre Jason Hickel (dont nous vous parlions dans les Brèves, plutôt franchement décroissant) et l’économiste Stéphane Hallegatte (Banque mondiale, spécialiste des questions de développement et de pauvreté en lien avec le changement climatique) qui vont au-delà de la classique “guéguerre” entre les pro-croissance verte et les décroissants.
"Guérir du mal de l’infini. Produire moins, partager plus, décider ensemble" par Yves-Marie Abraham
Le chercheur de Montréal délivre un puissant et complet diagnostic des problèmes du monde capitaliste et de sa quête intrinsèque de croissance économique, aussi bien sur les aspects environnementaux que sociaux.
"Décroissance, Fake or Not ?" par Vincent Liegey
La collection "Fake or not" des éditions Tana est une petite pépite qui propose des synthèses pédagogiques sur des enjeux de société. Après la mobilité (Aurélien Bigo), l'énergie (Maxence Cordiez) ou l'eau (Charlène Descollonges), c’est au tour de la décroissance d’avoir son livre de référence pour vulgariser et clarifier le concept. C’est le chercheur et spécialiste de longue date de la décroissance Vincent Liegey qui s’y colle ! Et si vous préférez l'écouter, il y a son passage chez l'excellente chaîne LIMIT.
Coordonné par Cédric Biagini, David Murray et Pierre Thiesset (aux éditions L’échappée, co-édité avec Le Pas de côté et Écosociété), c’est un ouvrage indispensable pour approfondir les pensées de la décroissance et leurs origines.
Le second (deuxième !) opus de notre magazine papier contient un super dossier décroissance et il est plus que jamais d'actualité. Qui plus est, il en reste en stock ! On dit ça comme ça, mais ça fait un chouette cadeau de Noël !
Ont contribué à cette newsletter : Florian Palluel, Loïc Giaccone, Christophe Peter, Thibault Liebenguth, Mathieu Ros Medina, Jérôme Folliet, Stewart Sheppard.