Dispositif Nivalliance, 3 questions à Laurent Reynaud
Nivalliance est une assurance unique au monde visant à limiter les conséquences financières des accidents d’enneigement pour les domaines skiables.
Nivalliance, c’est un système d’aides financières entre stations de ski permettant d’aider les plus en difficulté lors des années de faible enneigement. Quand Laurent Reynaud, délégué général de Domaines Skiables de France (DSF), nous rappelle pour répondre à nos questions à ce sujet, il est en route pour la commission paritaire avec le courtier d'assurance, justement pour statuer sur les 80 stations éligibles cette année aux quelques 3,7 millions d’euros d'indemnités du dispositif. « Je suis content que vous vous y intéressiez, car le mécanisme est complexe », nous dit-il.
LP : Quelle est la genèse de Nivalliance, et comment cela fonctionne?
LR : le dispositif n'a quasiment pas changé depuis ses débuts en 2001, il aura bientôt 25 ans. Il a été mis en place par DSF (qui s’appelait à l’époque le SNTF pour Syndicat National des Téléphériques de France) dont chaque membre doit obligatoirement signer la police et verser une prime au prorata de son chiffre d’affaires. Ceux qui refusent de s'en acquitter - pour de bonnes ou de mauvaises raisons, j'ai quelques exemples en tête - sont radiés l'année suivante. DSF souscrit la police d’assurance, et gère la collecte auprès des exploitants, et c’est aussi nous qui versons la prime aux bénéficiaires. On arrive par ailleurs à la dernière des 5 années du contrat actuel et on le renouvelle cette année.
NIvalliance est financé par les très grands au bénéfice des moyens et des petits, et ça ne créée pas de polémique. Les gros paient, les petits touchent.
On a 4 catégories de stations adhérentes réparties par « moment de puissance » (débit théorique x dénivelé) : les petites (comme l'Alpe du Grand Serre ou le Sappey en Chartreuse), les moyennes (comme La Bresse), les grandes (comme Châtel) et les très grandes (comme Val Thorens).
Ça ne fonctionne que parce que toutes les stations ou presque sont adhérentes à DSF, qu'elles soient associatives ou cotées en bourse, ce qui permet de vraiment mutualiser les risques.
LP : Quel type de risque couvre Nivalliance exactement ?
LR : ce n'est pas magique. C'est une vraie aide, mais qui assure l'accident ponctuel, un coup de pouce pour une ou deux années sans neige, pas sur le long terme. Le remboursement maximum couvre 12,5% du CA moyen des 3 dernières années, donc si on fait -30% ou -40% sur un hiver sans neige, ça reste intéressant.
Mais le contrat est auto-régulé. Si une station fait plusieurs mauvaises saisons consécutives, le CA moyen sur 3 ans baisse et le remboursement devient moins intéressant.
Ce n'est pas une assurance susceptible de permettre à des stations qui seraient dans une spirale de déclin de s'en sortir malgré tout.
DSF paie une prime fixe de 2 millions d’euros par an, et les montants distribués peuvent être supérieurs à ce qu'on a engrangé, comme pour l’assurance habitation d’un particulier. En l’occurrence, on peut toucher jusqu'à 5 millions, avec un plafond total de 15 millions sur la durée du contrat, qui était historiquement de 5 ans. Si on se rapproche trop du plafond total, il y a un mécanisme amortisseur qui permet de freiner pour ne pas brûler toute la capacité résiduelle. D'ailleurs il joue cette année, même si on est en fin de contrat, et on ne devrait toucher que 3,7 millions au lieu de 5.
La situation qui serait mauvaise pour un tel contrat c'est d'avoir une mauvaise saison après 3 bonnes, car alors il faudrait sortir une dizaine de millions au lieu des 5 pour honorer les primes.
LP : quelles sont les limites d’un tel dispositif?
Il se passe des choses graves dans notre environnement, le fracas des pierres et de l'eau à la Bérarde en est un exemple récent. Mais le ski est robuste, cette saison l'a encore montré.
Quand j'en parle je me fais allumer sur les réseaux sociaux, on me dit que je suis dans le déni. Mais la fréquentation nationale est en hausse, et quand il y a de la neige à basse altitude les gens vont dans les petites stations. Et même avec 80 stations dans le dispositif cette année et un contrat quinquennal déficitaire pour la première fois depuis 2000, on sort d'une négociation pour le renouvellement qui s'est bien passée. On va signer avec un nouveau courtier, pour la première fois pour 6 ans plutôt que 5, et on améliore les garanties.
Pas un seul autre pays au monde n'a mis en place un dispositif de ce type, ni en Suisse, ni en Autriche ou aux États Unis. D'ailleurs je ne crois pas qu'une seule autre profession en France se soit dotée d'une telle assurance.
Quand on est agriculteur on assure son exploitation, et il y a les catastrophes naturelles, mais pas de police mutualisée qui regroupe tous les agriculteurs. Nivalliance reste un dispositif assez étonnant, les assureurs sont surpris quand on leur en parle, et mes homologues suisses et autrichiens me disent « mais c'est un truc de communistes ! ».
CE QU’ON EN PENSE
Nivalliance est un concept qui était révolutionnaire en son temps, après les “années sans neige” de la fin des années 90. Le fait que l’adhésion au dispositif soit obligatoire est hyper vertueux et montre l’engagement de la profession sur le sujet. Pour l’instant. Comme la réponse à notre dernière question est un peu élusive, nous on se questionne encore.
On se demande quel est l’avenir d’un tel dispositif dans « un monde [des stations] qui s’effondre » [ou pas ? le ski, c’est fini ? bon ok Laurent on arrête]. Pour combien de temps encore pourra-t-on parler “d’accidents d’enneigement”, et sur quels massifs ? Ce principe de solidarité pourra-t-il résister au creusement des écarts entre les grandes stations qui résistent voire profitent des effets de la remontée des limites pluie/neige (coucou la Tarentaise) et les petites et moyennes qui vont en faire structurellement les frais ?
Au-delà de Nivalliance, on se dit que ce pourrait être le rôle (contre-intuitif, on vous l’accorde) de DSF de pousser et d’accompagner certains exploitants sur le chemin d’une vraie transition (voire d’un démantèlement) plutôt que de faire de l’acharnement thérapeutique.
#flashturfu : Mai 2026. Après une deuxième saison sinistrée dans le Massif Central et les Vosges, et les annonces de la fermeture de 6 stations de basse altitude en l’espace de quelques semaines, Domaines Skiables de France annonce la création d’un service Redirection Ecologique. Doté de 3 personnes et d’un budget de 900 000 euros en année 1, il aura en charge d’accompagner les exploitants les plus fragiles dans “l’après station” via de l’ingénierie et de l’aide à l’investissement de reconversion. Ce service sera financé par une partie du fonds Nivalliance.