Un scénario de design-fiction initialement publié dans le numéro 1 du magazine Les Passeurs, Vivre en montagne après 2020.
LE SCENARIO
Je m’appelle Achille, j’ai 30 ans et suis la Voix des Torrents.
Aujourd’hui, en 2050, au quotidien, des citoyens comme moi sont les porte-paroles d’espèces, animales ou végétales, et vont porter leur voix dans un certain nombre d’instances. Un grand nombre de décisions doivent désormais être prises collégialement en ménageant les intérêts de chacun et à la recherche permanente de compromis : entre humains et non-humains (faune, flore, océan, rivière, montagne...), temps court ou temps long, ce que l’on donne et ce que l’on prend. Par exemple aujourd’hui, je vais participer à un conseil communautaire pour discuter d’un projet d’aménagement d’une microcentrale hydroélectrique à 2 000 m d’altitude.
En France, dès 2022 et l’élection du premier président de la République de mouvance écologiste, le crime d’écocide a été reconnu dans la constitution, et progressivement différents espaces naturels reconnus comme des personnes morales, au même titre que les animaux. Ces évolutions juridiques se sont accompagnées d’une évolution sociétale majeure en Occident : la fin de l’anthropocentrisme pour aller vers le biocentrisme, qui considère l’humain comme un membre du vivant parmi d’autres avec lesquels il interagit et doit composer au sein d’une nouvelle « diplomatie » (selon le Premier Ministre des Relations avec le Vivant, Baptiste Morizot).
Ainsi, les glaciers ont été dotés de droits constitutionnels dès 2025 car ils étaient les plus menacés en montagne. Puis sont venus les alpages, les torrents, les forêts d’altitude…
L’OBJET TOTEM
Mon masque de parole, que je porte pour incarner pleinement mon rôle de porte-parole en effaçant mon individualité, à l’image des robes des avocats et des juges.
POURQUOI ÇA INTERPELLE ?
Parce que ça va arriver, même si la loi sur l’écocide discutée au Parlement fin 2020 a été balayée. Déjà en 2018 aux Etats-Unis une cour a rendu un jugement contre un projet de pipeline en citant le Lorax, une créature mythique qui parle au nom des arbres : « I speak for the trees, for the trees have no tongues. »
La rivière Whanganui en Nouvelle Zélande est dotée d’une personnalité morale depuis 2017.
Et au moment du bouclage, on découvre dans Socialter le projet de « Parlement de Loire », où les différentes entités qui composent et habitent le fleuve seraient représentées.
Dans les projets menés en montagne, si on donnait une voix (même fictive) à la montagne ? À la forêt ? Aux alpages ? Si quelqu’un défendait leurs intérêts ? Plus simplement, avant de mettre en œuvre un aménagement, si on se disait juste : « défendre les intérêts de cette forêt, ou de cet alpage, ça voudrait dire quoi ? »