La Veillée spéciale de la Planque des Passeurs 3/3 : habiter la montagne, partager la montagne
Morceaux choisis pour nourrir le débat et servir de données d’entrée à nos réflexions lors de la Planque des Passeurs du 27/01 prochain
La Planque est imminente, et avec elle ce troisième et dernier thème (retrouver les 2 premiers sur notre site) qu’on a sobrement intitulé « habiter la montagne, partager la montagne » :
Entre tourisme et post-tourisme, pastoralisme, étalement urbain, insupportables néoruraux bobos, adorables locaux si typiques, diversification, bouleversements topographiques qui changent l’habitabilité (coucou la Bérarde, salut Chaudun), tensions et luttes locales ouvertes, la montagne de demain, avec ou sans le ski, sera avant tout un territoire soumis à d’énormes contraintes plus ou moins globales, tant externes qu’internes. Comment l’habiter, comment la partager ?
Pour vous inspirer, voici un florilège, non-exhaustif, de références, scientifiques ou pop, écrites, auditives et visuelles, sélectionnées par l’équipe des Passeurs et enrichies des recommandations de nos experts et des participants à la Planque des Passeurs du 27 Janvier prochain.
De quoi nourrir le débat et vos réflexions, et que vous puissiez les enrichir avec vos propres ressources. L’idée est qu’on puisse partager un référentiel commun en amont de la journée !
Habiter la montagne
Pour habiter la montagne il faut un logement… ça semble évident. Mais ça ne l’est pas tant que ça, malgré le béton qui coule à flots dans nos massifs. Tellement que « l’urbex » (l’exploration de friches industrielles, anciens immeubles, etc.) a désormais droit de cité en montagne : Montagnes d’urbex.
« Les friches représentaient hier un risque, aujourd’hui une opportunité et demain une obligation ». 6 ans après l’arrêt des remontées mécaniques de Céüze 2000, le récit de cette enquête (merci Romain) remet au cœur de l’attention des bâtiments perçus comme abandonnés, et met au jour les réappropriations à l'œuvre.
Evolution démographique
Alors justement, pour rentrer dans le vif du sujet on vous propose de parler béton et évolution démographique avec un zoom spécial sur les Hautes-Alpes (inédit hotspot des JO Alpes 2030) :
« Hautes-Alpes. Et au milieu, coule le béton », par LSD, la série documentaire de France Culture, où 50% du parc immobilier est composé de résidences secondaires.
Briançon perd 10% de sa population en 6 ans mais la Caisse des Dépôts souhaite y reconstruire la ville sur la ville, en réhabilitant 2 anciennes casernes en logements et hôtels 4 et 3 étoiles.
Réinventer les imaginaires
Et boom, ca y est on parle d’habiter en montagne et on parle déjà de stations de ski. On est vraiment en panne d’imagination dans la montagne française (entretien avec Fiona Mille de Mountain Wilderness pour le podcast Vent Debout) !
Michel Lafleur (c’est un pseudo) a publié Révolu, contemplation d’une dystopie, un recueil de photographies de stations de ski prises au creux de l’intersaison qui incitent presque à piquer un somme au bord d’une route de montagne déserte.
Dieu merci, d’autres que les Passeurs ont fait un travail épatant de design fiction au sujet de la montagne, à écouter chez nos partenaires Mountain Change Makers et à lire ici.
On retrouve aussi Severin Duc et « Les Alpes du futur », série dont il a tiré un livre éponyme.
Enfin, où sont passés les bonhommes de neige ? La raréfaction de la neige impose à nous tous la lente disparition de l’image d’Épinal de la montagne : il est temps de (se) la réinventer !
Luttes citoyennes
Pour autant, peut-on tuer la poule aux œufs d’or (tout de suite) ? Entre les convaincus qu’il faut passer à autre chose et ceux encore très dépendants au sentier, les tensions s’exacerbent. Aucune vallée, aucun plateau, aucun massif n’y échappe : du Jura aux Aravis en passant par la Chartreuse, la Matheysine, la Maurienne, le Vercors ou encore la Grave, nombreuses sont les mobilisations citoyennes.
Fermeture partielle de stations comme à Métabief qui tire le rideau sur tout un secteur ou faux départ comme à l’Alpe du Grand Serre qui finalement bénéficie d’un sursis d’un an, on n’est pas vraiment prêt à passer à autre chose même si le ski ne tient qu’à un fil. Article connexe dans Reporterre : « Face au manque de neige, les habitants font revivre les stations délaissées. »
Le débat se déporte souvent sur les réseaux sociaux où l’on ferraille ici sous un post de (notre) Jean Pinard sur le sujet de Métabief en particulier, où encore en arguant du côté de Laurent Belluard que « sortir du tout ski, pas si simple… ».
Tandis qu’aux Deux Alpes, « on inaugurait une autre cathédrale » de 148M€, luxueux sésame vers une plus haute montagne :
Non loin de là, c’est le projet de (ré)aménagement du glacier de la Girose qui a fait couler beaucoup d’encre et maintenant d’aquarelle dans Glacier de la Girose, versant sensible : un ouvrage collectif de 18 chercheurs qui ont souhaité se rendre à son chevet.
La montagne inhabitable ?
En 1895, ne parvenant plus à assurer leur subsistance dans un environnement épuisé, les habitants de Chaudun, dans les Hautes-Alpes, vendaient leur village à l’État. Ces déshérités de la nature laissaient aux ingénieurs des Eaux et Forêts le soin d’inventer la restauration des terrains de montagne.
Avance rapide : la catastrophe de la Bérarde en juin dernier nous rappelle que les savoirs ancestraux sur le placement des constructions en dehors des zones impactées par les avalanches sont littéralement réduits à néant car inutiles face à des événements qui n’avaient jamais eu lieu « avant ». Parmi ces enseignements, Philippe Bourdeau nous suggère qu’il faudrait peut-être accepter « l’indisponibilité du monde ».
C’est que depuis 1850, la température dans les Alpes a grimpé de 2°C. A différentes altitudes, les stigmates sont déjà bien visibles. Conséquence du gel et des pluies diluviennes, les falaises s'effritent et des blocs s'écrasent sur les axes routiers, faisant enfler les coûts d’entretien et de remise en état d’infrastructures, qui bientôt risquent de ne plus être supportables, en plus de ne plus être assurables.
Au-delà du changement de paradigme nécessaire autour du modèle des stations, habiter en montagne demain voudra dire composer avec les risques naturels exacerbés par le changement climatique, dont la dégradation du permafrost ou pergélisol (selon votre langue maternelle).
Retour à la Bérarde, où en conclusion d’une vidéo du Dauphiné Libéré « La Bérarde, autopsie d’une catastrophe », Vincent Koulinski, expert en hydraulique torrentielle, avertit :
“Des endroits vont devenir inhabitables, la tendance très clairement va être à l’abandon de territoires.”
L’abandon d’un territoire, conjugué au vieillissement général de la population, est souvent associé à une perte des savoirs. Qui n’a pas entendu parler de bois coupé « à la bonne lune » ? Mais de nos jours, qui est capable de dire quelle est cette bonne lune ? Pour autant on retrouve des projets innovants autour de l’agriculture de montagne, de son patrimoine historique, de la manière dont elle a façonné le paysage et surtout comment préserver ce savoir.
« Quand une porte se ferme, une autre s’ouvre », encore un vieil adage (on aime bien) qui se matérialise sous nos yeux : à lire « Amandiers et figuiers au milieu des vignes : en Savoie, tout un village plante des arbres », un article de Reporterre sur le projet agro-forestier, que sont en train de mettre en place des viticulteurs, en lien avec les habitants, les écoles, etc. (merci Educ Alpes)
« Le climat de la combe de Savoie est en train de se transformer en un climat de garrigue. Il est impératif de ramener de l’ombre, de la fraîcheur, d’accroître le pouvoir drainant du sol, de retenir la terre, de couper le vent, de raviver la biodiversité. »
Partager la montagne
Une chose est sûre dans l’entre-deux-mondes qui est le nôtre, où l’ancien modèle s’écroule (plus ou moins vite, au sens propre comme figuré) et où le nouveau monde n’existe pas encore (c’est son propre), c’est à nous de « désinventer le tourisme », d’accueillir les nouveaux « pratiquants » et pourquoi pas en faire des habitants de la montagne :
En 2020, on avait publié dans notre Mag n°1 un scénario qui annonçait en 2045, la loi sur les crédits espace-temps : on ne pourra plus partir « en vacances » sur des temps courts, mais on pourra postuler pour aller vivre sur un autre territoire qu’il faudra « habiter », où il faudra contribuer à la vie locale. Les personnes « extérieures » qui viennent sur un territoire sont appelées les fifty/fifty.
La montagne, source d’émancipation
La montagne est source d’émancipation, même si elle manque encore cruellement de diversité.
Guillaume Goutte, syndicaliste féru de montagne, retrace dans son livre « Alpinisme et Anarchisme » les origines aristocrates, bourgeoises et patriotes mais aussi ouvrières de l’alpinisme.
L’idée de gravir les sommets a aussi fait son chemin parmi les exploités, à la faveur des congés payés. Mais la montagne ne se réduit pas à un terrain de jeu, c’est aussi un refuge pour les opprimés, un lieu de passage clandestin, un terrain d’expression privilégié pour les luttes; un environnement qui peut sembler hostile, et qui impose que ceux qui s’y aventurent s’entraident.
Et là où il y a lutte, il peut y avoir compromis. Et pour en arriver au compromis les méthodes sont multiples, en voici quelques-unes qui nous ont interpellés :
La transition climatique est-elle forcément faite de sang, de sueur et de larmes ? L’excellent podcast du Monde Chaleur Humaine se demande « Comment rendre la transition heureuse ? ».
Difficile dans tout ça de trouver une solution et une seule qui satisfasse « tout le monde ». Pour aborder ce travail et tenter de répondre à cette question pas simple alors que la Planque va mettre à jour toutes nos différences - et peut-être même les mettre à vif - l’équipe des Passeurs voulait finir cette série de 3 Veillées spéciales par une citation tirée de la tribune « Les montagnards pour une sortie de crise par le haut » co-signée par plus de 450 personnes.
« Rappelons simplement que les montagnes n’ont jamais séparé les hommes. Elles n’ont jamais été des barrières, encore moins des frontières. Elles sont des terres de passage, de circulation, d’échanges, un trait d’union entre les régions situées de part et d’autre, et ceci depuis des millénaires. »
Et voilà, « c’est tout » pour cette Veillée spéciale de la Planque des Passeurs 3/3, on se voit très vite !
D’ici la prochaine, n’hésitez pas à vous abonner si ce n’est pas déjà fait, à consulter nos anciens articles, et à partager si le contenu vous a plu.
Nous avons toujours quelques exemplaires papier du Mag numéro #2 des Passeurs pour celles et ceux qui n’ont pas le leur ! Et le #1 en version numérique.
Les Passeurs
Salut les Passeurs,
déçue de ne pas pouvoir me libérée pour La journée. Que vous allez vous régaler à écouter ! J'ai lu , écouté, recopié pour ne pas oublier, ces 3 envois préparatifs. Tellement de choses, maintenant il faut décanter. Et recréer.
Je suis en plein sevrage de la vie en station de ski de Hte Tarentaise ou d'Argentière en vallée de Chamonix. Mais certain jour, sous la mer de nuages, l'envie est grande de ramener ses valises dans la haute cité aménagée. Mais le coeur et la raison restent là où salades et tomates arrivent à pousser. Je rechute parfois et retourne encadrer une balade en raquettes ou un séminaire en randonner. Habituée, lucratif...
Et je reviens dans la vallée, encore plus encouragée à trouver des idées pour que fondue, raclette et boucles de glaces ne soient pas dévorées sans une pensée pour la vache, le pré, le ruisseau, la forêt, la montagne, le fermier, le bousier, ... qui ont rendu ce gourmand moment possible.
Merci pour Les lois de la Nature: une pensée pour Hubert Reeves, le monde et les êtres sont un assemblage de poussieres d'étoiles.
Laisse la montagne guérir : 48h de recueillement ... si seulement en station
Nous ne sommes pas seuls: puréé mais quand je marche dans la forêt, il y a autant de matière sous mes pieds qu'au dessus de ma tête !! New York mycorhisien sous terrain ...
Partager la montagne: DESINVENTER le tourisme, que le butinage de l'azuré dépasse l'attraction de Space mountain, que le doux murmure d'un ruisseau dépasse le nombre d'écoute de Taylor Swift.
Passez une bonne journée.
Mélaine, Accompagnatrice en montagne, Glacière.