La Veillée spéciale de la Planque des Passeurs 1/3 : les lois de la nature
Morceaux choisis pour nourrir le débat et servir de données d’entrée à nos réflexions lors de la Planque des Passeurs du 27/01 prochain
La Planque est dans une semaine tout pile, et pour la préparer, nous vous proposons une série de 3 Veillées spéciales, dont voici la toute première sur le thème des « lois de la nature » :
De l’animisme aux droits de la Nature, partons explorer de nouvelles diplomaties avec le non-humain !
Changeons de cadre de référence : que se passerait-il si nos interactions avec le non-humain se transformaient ? Si les éléments naturels, les espèces animales ou végétales, faisaient « société » avec nous, intégraient nos contrats sociaux ? Et si nous faisions plutôt société avec elles, selon leurs propres règles ?
Pour vous inspirer, voici un florilège, non-exhaustif, de références, scientifiques ou pop, écrites, auditives et visuelles, sélectionnées par l’équipe des Passeurs et enrichies des recommandations de nos experts et des participants à la Planque des Passeurs du 27 Janvier prochain.
De quoi nourrir le débat et servir de données d’entrée à nos réflexions, et que vous puissiez les enrichir avec vos propres ressources. L’idée est qu’on puisse partager un référentiel commun en amont de la journée !
VERS D’AUTRES CONCEPTIONS DE LA NATURE
« La fin de la nature ? », pour une première approche
Une très bonne série d’été du journal Le Monde, accessible aux abonnés (ou aux 5 premiers à cliquer sur le lien), qui résume en 6 articles très accessibles l’histoire de la construction occidentale de la notion de nature : influence du christianisme et de la pensée grecque, du naturalisme avec Thoreau ou John Muir, travaux de Philippe Descola. Les articles sont truffés de références pour ceux qui veulent approfondir.
La ref’ absolue : Baptiste Morizot
Chez Les Passeurs, « l’homme à la boucle d’oreille » Baptiste M. c’est un peu notre idole, on avait d’ailleurs eu la chance d’un long entretien avec lui et Corinne Morel-Darleux publié dans notre Mag n°2 en 2021.
Ses ouvrages nous inspirent de nouvelles manières de considérer et de nous relier au vivant qui nous entoure : Manières d’être vivant (2020), Raviver les braises du vivant (2024), Rendre l’eau à la terre (2024, tout quitter pour devenir castor). Et si tu n’aimes pas lire, va l’écouter en podcast chez Reporterre ou France Culture !
S’inspirer d’autres visions du monde
De plus en plus d’autres pensées viennent infuser les visions occidentales de la nature, et c’est tant mieux !
Le battement de cœur de l’Océan
(déjà publié dans notre Topo d’octobre 24)
En mars 2024, de nombreux leaders représentants des peuples indigènes du Pacifique appelaient à accorder le statut de personnalité juridique aux baleines au travers du Hinemoana Halo Ocean Initiative. Une des seules manières de réellement protéger celles qui, à leurs yeux, font partie de leur famille. Dans l’ontologie (manière d’être au monde) maorie, la force vitale, ou mauri, existe à l’intérieur de chacun et entre tous les êtres et éléments naturels. Ainsi, la force vitale de l’océan est indissociable de celle des êtres qui y vivent et interagissent avec lui, humains et non humains.
“Le chant de nos ancêtres, les baleines, qui ont nagé dans ces mêmes eaux, se fait de plus en plus ténu […] Ce chant est le battement de cœur de l’océan, et sa présence nourrit notre propre mana (essence spirituelle, ndlr) […].”
Hinemoana Halo propose de tisser ensemble les savoirs ancestraux maoris et la science, pour proposer une approche plus holistique de la protection de l’océan, en outillant les communautés qui y vivent (super) et en valorisant les services écosystémiques rendus pour récupérer des fonds via des “blue bonds” (là, on est un peu plus réservés). Vous pouvez découvrir tout le dispositif ici.
“Avec le vieillissement du monde, au fur et à mesure que l’homme négligeait sa part de divinité, il perdit aussi le pouvoir de parler aux baleines, le pouvoir de fusionner avec elles.” La Baleine tatouée, Witi Ihimaera
Chez Les Passeurs, ce type de réflexion nous fait bien vibrer : c’est clairement une clé pour changer notre relation anthropocentrée au reste de la planète. Vous pouvez lire à ce sujet notre entretien avec l’anthropologue Nastassja Martin publié dans notre Mag n°1.
Nastassja Martin : interagir avec les non-humains
Une version raccourcie de cet entretien a été publiée pour la première fois en Mars 2021 dans Les Passeurs #1 : vivre en montagne après 2020. Cette version intégrale est publiée ici pour la première fois, n'hésitez pas à nous soutenir pour plus de contenus de ce niveau à l'avenir !
Laisser la montagne guérir
Le 12 Septembre dernier, un skieur décédait suite à un accident sur le domaine skiable de Turoa, sur le Mount Ruapehu, en Nouvelle-Zélande.
Dès le lendemain, la communauté (ou “iwi”) maorie locale a décrété un “rahui” en sanctuarisant toute la zone pour 48h. “Ce rahui reconnaît l’aspect sacré de la montagne et de la perte d’une vie, et respecte le deuil de la famille.” L’exploitation du domaine skiable a été mise en pause durant 48h, pour permettre un temps de repos permettant à la montagne de “guérir”, et qu’il soit sûr d’y retourner. Cette pratique est courante en Nouvelle Zélande (qui est pourtant on vous le rappelle un pays à forte culture anglo-saxonne) suite à des décès en montagne.
C’est intéressant ne serait-ce que de l’envisager, même si on n’ose pas imaginer ce que ça donnerait avec l’accidentologie de certaines périodes en montagne en France…
Je te vois, Jake Sully
Comme nous le rappelle l’anthropologue Perig Pitrou, le film Avatar, de James Cameron, a contribué à éveiller la conscience de millions de spectateurs dans la monde en nous plongeant dans le monde des Na’vis et leur relation à la planète Pandora.
Nous ne sommes pas seuls (ah bon ?)
La Déclaration de New York sur la conscience animale, signée le 19 Avril dernier par près de 300 scientifiques, éthiciens, philosophes, nous incite à revoir notre perception de la conscience animale, alors que certains parlent plutôt de sentience, comme nous l’explique Le Monde :
“ Après les mammifères, les oiseaux et la plupart des animaux vertébrés, c’est au tour des céphalopodes – poulpes, seiches et autres pieuvres – et des crustacés décapodes – crabes, homards et crevettes – de se voir reconnaître la capacité de ressentir douleur et bien-être et d’adapter leur comportement en fonction de leurs expériences vécues.”
Et quid des arbres et du monde végétal au sens large, que nous commençons à peine à comprendre ? Au-delà du succès de la vie secrète des arbres ou des livres de Francis Hallé, de nombreux travaux nous incitent à changer de point de vue. Avant tout, ces découvertes pourraient entraîner des bouleversements sur la place de l’animal et du végétal (le “monde sensible”) dans nos sociétés, plus profonds que les maigres progrès réalisés sur le bien-être animal.
En creusant un peu tout ça, on voit de moins en moins comment l’on peut continuer à objectifier le monde qui nous entoure. Il devient urgent de faire société autrement avec lui.
DROITS DE LA NATURE
I am the river. The river is me.
La rivière Whanganui, sur l’île nord de la Nouvelle Zélande, a été en 2014 la première entité dotée d’une personnalité morale et de 2 représentants humains (l’un nommé par la “iwi” - communauté - maorie locale et l’autre par le gouvernement néozélandais) chargés de défendre ses intérêts.
Cette démarche est parvenue à intégrer dans une loi moderne et plutôt anglo-saxonne, la vision du monde maorie qui reconnaît le lien physique et spirituel ancestral existant avec la rivière (“I am the river. And the river is me”). Comme quoi c’est possible.
“Te Awa Tupua est un tout indivisible et vivant comprenant la rivière Whanganui des montagnes à la mer, incorporant ses affluents et ses éléments physiques et métaphysiques...Te Awa Tupua sera également reconnue comme une personne morale. Reflétant la vision de la rivière comme un tout vivant et intégré, Te Awa Tupua aura sa propre personnalité juridique avec tous les droits, devoirs et responsabilités correspondants d'une personne morale.”— Ruruku Whakatupua — Acte fondateur
Pour en savoir plus :
Un très beau documentaire de 18min (en anglais) raconte cette histoire :
Cet article du Guardian résume la démarche.
La bibliothèque nationale de Nouvelle-Zélande a mis de nombreuses ressources à disposition ici.
En 2020, on avait imaginé un chouette scénario intitulé La Voix des Torrents sur le sujet.
Et enfin plus près de chez nous, le procès fictif de défense de la Seine, une audience fleuve de plus de 2h qui s’est tenue le 9 décembre dernier au théâtre de la Concorde à Paris :
Derrière cette démarche inspirante, cependant, les droits de la nature progressent (ou régressent) souvent à coups de procès, de jurisprudences et de recours :
Les randos en motoneige définitivement interdites à Chamrousse
Le Grand Bornand a 18 mois pour revoir sa copie en matière de protection de l’environnement
À Aussois, un projet de télésiège invalidé pour cause d’impacts forts sur des espèces protégées
Les droits de la nature accostent en Europe. L’affaire Mar Menor en Espagne à la lumière des précédents latino-américains
De quoi conforter certains dans l’adage “de toute façon on ne peut plus rien faire” (version terrain du “on ne peut plus rien dire” de l’ère post-me too). Nous, on préfère le “on doit faire autrement”. Et heureusement, certains nous montrent la voie.
NOUVELLES VOIES/VOIX
Les mots modèlent la pensée
Et si on commençait par changer de langage ? C’est ce que nous suggère Ski Magazine (article en anglais) : “de vaincre les sommets à déchirer la piste, notre langage modèle la manière dont nous voyons la montagne”.
Prendre ses responsabilités
Sortons du manichéen “gentils pratiquants de montagne” contre “méchants aménageurs”. Toutes les pratiques ont un impact : informer et éduquer aux bons comportements, pour tous, c’est la base !
Rappelons-nous les bons comportements à adopter en montagne, aussi bien concernant les troupeaux que les zones protégées. Autre lecture conseillée : cet article de The Conversation sur les droits des promeneurs et promeneuses vis-à-vis des propriétés privées et de l’accès à la nature.
Le film « Hors-piste, sensible et sauvage », réalisé par Guillaume Collombet et diffusé par France TV, décrit les conséquences des pratiques sportives et de loisirs « outdoor » sur l’environnement de montagne. Il se concentre en particulier sur la faune, qui est très sensible en hiver, et esquisse des pistes pour une meilleure cohabitation.
La nature on board
Le groupe Norsys annonçait en Novembre dernier attribuer un siège pour la nature et un droit de vote au sein de son Conseil d’Administration, ainsi que dans d’autres instances de gouvernance (CSE, Comité de mission…). Son représentant officiel, Franz Gault, milite pour donner plus de place aux éléments naturels dans la gouvernance des entreprises :
Intégrer sagesses ancestrales et modernité
C’est ce à quoi travaille Aurélie Debusschère, qui nous fait le plaisir d’être avec nous le 27 Janvier prochain dans le Vercors. Son travail de recherche en géographie culturelle/anthropologie environnementale l’amène à inventorier les manières de se relier au reste du monde sensible dans diverses cultures, à explorer les possibilités de s’en inspirer sur nos territoires, jusqu'à l’application en termes de politiques publiques. Un terrain de réflexion passionnant.
Et voilà, « c’est tout » pour cette Veillée spéciale de la Planque des Passeurs 1/3, la suite dans les prochains jours !
D’ici la prochaine, n’hésitez pas à vous abonner si ce n’est pas déjà fait, à consulter nos anciens articles, et à partager si le contenu vous a plu.
Nous avons toujours quelques exemplaires papier du Mag numéro #2 des Passeurs pour celles et ceux qui n’ont pas le leur ! Et le #1 en version numérique.
Les Passeurs